Objet: Assignation, Identifications & Identité : contribution au débat
Cet articulet précise la conférence « HOMÉOSTASIE, L’AVERSION DE LA PERTE » du 24-11.
1) Les psychanalystes rechignent à utiliser le concept d’ « Identité », conscients du risque de reproduire une image « religieuse » du psychisme, l’épiphanie terminale de l’« Identité » survenant (enfin!) après des étapes identificatoires quasi initiatiques. Une représentation plus juste de ce processus serait de penser un psychisme néonatal riche de tous les possibles (perspective optimiste « humaniste ») qui ne s’ « exprimeront » (comme on parle de gènes qui « s’expriment ») que s’ils ne sont pas inhibés.
2) Plus simplement, nous dirons ici que l’« Identité » est, non pas la somme, mais l’Intégrale desdites étapes, par une série d’introjections, de dépassements et d’« oublis ».
3) C’est pourquoi le plan de la conférence est chronologique : les schèmes qui « modélisent » (paradigmes) l’enfant-objet préexistent à la conception, et, parce que tus et énigmatiques, ont une incidence prégnante. Ainsi, le « projet d’enfant », souvent imaginé très tôt par les femmes (petite enfance, poupons & poupées) : le bébé fantasmé, pensé comme « objet transitionnel », est en même temps le vecteur et la cible de projections à la fois aimantes et sadiques (si tant est que l’on puisse déconcaténer ! -humour de psy…) ; on pointe déjà ici le système de modélisation (projection / compensation / emprise / secrets de famille) décrit dans la conférence.
4) Cette fantasmatique , un temps en latence, resurgit chez la jeune adulte, un « vrai » père putatif remplaçant le héros d’enfance (comme « analogon » ? comme calque du Phallus paternel ? comme dépassement ? comme Altérité pare-incestueuse ? → la Clinique présente les 4 cas de figure).
5) La modélisation a priori est évidemment sous-tendue certes par l’Amour (pour Autrui, pour Soi → se « re-produire »), mais aussi par les angoisses de mort qui traversent la vie du psychisme ; on pourrait avancer que c’est LE lieu de condensation le plus dense, puisqu’il définit un espace affectif clos (les prémisses de la Dyade), où peuvent se jouer des scénarios itératifs infinis, générés par l’histoire familiale, les discours idéologiques (« Famille Ricorée », quand tu nous tiens!), publicitaires etc.
6) S’ajoute à cette perlaboration fantasmatique … le Réel, qui parfois fait irruption sans feutre : conditions matérielles (habitat, €, habitus), physiologiques (facilité -ou non- de la conception, FIV, grossesse, accouchement…), psychologiques (anamnèse individuelle des seuils : comment passer de l’Imaginaire au Réel, via un Symbolique nourri -ou pas !-)
7) Ainsi, l’enfant, « objet » surdéterminé, aura fort à faire pour émerger en tant que « sujet » :
a) dire « Non » et expérimenter le risque de dé-plaire :
- classiquement, il va esquiver un « non » frontal en passant par des « sketchs » (caprices) dont le schème régressif lui laisse croire (doux leurre!) qu’il évacue l’opposition et donc le risque de désamour
- parfois, face à cet Effroi, l’enfant va systématiquement régresser anaclitiquement (conduites « bébés », gestuel, écholalie, dolence, énurésie/encoprésie), pour évacuer le « non » brut - thématique littéralement « impensable »-
b) imaginer des alternatives heureuses : arborescence de « possibles » où l’individu peut « se penser autre » (...que le désir supputé - !- des parents!) ; ce processus est facilité par la lecture, support à assimilations rêvées (NB : l’image -écrans...- est un tremplin moins efficient, puisque définissant en amont une physionomie, un contour, un scénario fini…)
c) se lancer dans des pratiques pare-incestueuses, explorer un monde qui ne soit pas « sub oculis « des parents. Je rappelle ici que nombre d’enfants gardent, jusque vers 8 ans, l’idée que leur mère « sait » tout (→ « L’oeil était dans la tombe et regardait Caïn », Hugo) …
NB : en ce sens, il serait légitime -et salutaire- que l’enfant « mente », à la quasi quotidienne question : « qu’as tu mangé à la cantine ? »…
8) Quant aux parents, ils doivent mettre en place des protocoles pour « couper le cordon ombilical »
a) avoir explicitement des réseaux pare-incestueux et… les appliquer aux enfants, en valorisant l’Altérité, ce qui implique :
- des rituels « incestueux » pertinents (câlins, lectures du soir, activités spécifiques à chaque parent)
&
- une frontière (et, pour les maniaques, un « sas »...) entre ce qui est « privé » (code familial, ancré à des anecdotes de la saga familiale) et ce qui est « autre » (codes alternatifs, « secrets », transgressions)
b) favoriser le « déniaisage » du discours Alpha
- découverte de l’Histoire familiale (albums photos, commentaire d’objets, récits des grands parents)
- narration des biographies
- légitimation des Imaginaires « transgressifs » (→ jeu, génitalité -privée-), qualifiés de « normaux » et « légitimes »
c) promouvoir la dynamique de l’évolution et du changement (vs. La pétrification d’un Moïse monolithique achevé et par-fait)
- apprentissages (valorisation des plasticités cérébrale, somatique, psychologique!)
- « coloration » à l’Altérité (pratiques ludiques, culturelles, sportives)
- mise en évidence des diverses « fonctions / postures » : mère-maman-épouse-Femme-amie-salariée-copine-..., père-papa-époux-homme-ami-salarié-copain-… et de la jubilation à en jouer
d) faire le deuil des « assignations » (statiques) et des représentations archaïques projetées sur les enfants.
8) Ce processus implique une réflexion analytique sur sa propre Weltanschauung : comment s’articule le triple rapport:
a) de Soi à Soi (estime de soi ? Confiance en ses capacités à oser et réussir ? -ou pas...-)
b) de Soi à Autrui (allié/hostile ? plaisant/toxique ?…)
c) de Soi au Monde :
- espace (apprivoisable ? dangereux ? hostile ?)
- Temps (→ statut de l’Inopiné vs. Prévu-organisé, statut de la Mue, de l’entropie …)
9) Le schème itératif « projection / assignation / dépassement » va se reproduire jusqu’à l’âge adulte, voire colorer toute la vie du « sujet », libre alors d’explorer plusieurs « histoires » ; il implique :
a) un Imaginaire libre infini, joueur (attention donc aux inhibitions, dès que le psychisme oserait aborder des « continents noirs trop violents, trop sexualisés ou trop désespérants…)
b) une perception fine du Réel, du champ des possibles, des rapports de force, de ses capacités à agir , à se modifier pour agir…
c) une « boîte à outils » Symboliques de signifiants pour « dire » le fantasme, l’arborescence même utopique ou effrayante, l’affliction du virtuel aboli
10) La tentation de l’assignation (à un attribut, couleur de peau, habitus, caractère, communauté, statut , etc.) survient dès que le psychisme ne parvient plus à « se projeter dans une Altérité » :
a) aversion de la perte
b) peur d’être réifié/instrumentalisé
NB : la focalisation actuelle des médias sur les risques de l’emprise, de la manipulation (et… des relations asymétriques…) est certes légitime mais risque d’inhiber toute relation de mentorat (y compris, en psychanalyse, le transfert/contre-transfert) dont on sait la puissance pédagogique (mimésis, introjection, puis autonomie)
c) difficultés à faire le deuil d’une matrice, d’un Temps idéalisé, d’un « Paradis perdu »
d) angoisse du Flou, de l’Ambigu, du Labile : en ce sens, mieux vaut être « identifié » (identi-fiable) que protéiforme. Le « chat de Shrödinger », à la foismort et vivant, est peu aisément pensable à l’angoissé , alors… on promeut le rasoir d’Okham, rassurant « ON/OFF »!
CONCLUSION : PINDARE Ode Pythique 3 Mh/, fi/la yuxa/, bi/on a)qa/naton speu=de, ta\n d )e)/mprakton a)/ntlei maxana/n « Ne crois pas, chère âme, à la vie éternelle, mais épuise le champ du possible » …
Jean-Pierre Bénat