« L'agression finale, qui a coûté la vie à Kevin et Sofiane, est
intervenue à la suite d'une série de bagarres d'une grande banalité.
« banalité » : une bagarre peut-être « banale », au
sens où elle est « symbolique », inscrite dans un code de convenance, qui sert à préciser le statuts des individus et des groupes, comme une « parade » animale :
dans ce cas, pas de violence « réelle », pas de ressentiment, pas d'escalade, le signe disparaît dès qu'il a été compris ; la « violence symbolique » est interdite dans
les écoles, donc... les enfants ne connaissent que la « non-violence » et la « violence réelle », sans apprentissage de l'agression « pour de faux », mimée, jouée,
celle qui s'arrête dès que l'enseignant sonne la fin de la récréation.
Quelle est son origine ? Il semble qu'il s'agisse d'un mauvais regard
échangé plus tôt.
« mauvais regard » : interprété comme « réel », et non
comme l'expression théâtralisée d'une posture (ponctuelle, publique, calquée sans doute sur des scénarios de films ou de feuilletons).
Ce qui est certain, c'est que la première bagarre intervient vendredi, vers
18 heures, devant le lycée Marie-Curie. Le petit frère de Kevin, Wilfrid, croise la route de deux jeunes, dont Sid Ahmed, le plus jeune des deux frères militaires (interpellé lundi avec sa mère
et son frère aîné Mohamed, mis en examen ndlr). Wilfrid, qui pratique des sports de combat, a le dessus et blesse les deux autres.
« sports de combat » : la pratique des Arts Martiaux est fort
justement ritualisée, encadrée et étayée par des gestes symboliques : déconnectés de leur garde fou symbolique -ce qui est proscrit par les Fédérations, et répétés mille fois aux
pratiquants-, ils « blessent » dans le Réel.
Moins d'une heure plus tard, le frère aîné de Sid Ahmed, Mohamed, revient
et s'en prend à Wilfrid.
« revient » : au lieu de signifier « l'incident est
clos », « c'est une histoire de mômes, vous arrêtez tout ! » les proches en rajoutent et... inscrivent de plus en plus les actes dans le Réel.
Il le gaze.
Ce qui était un signe de Pouvoir s'ancre davantage dans le
Réel...
Wilfrid prend la fuite et appelle son frère Kevin, qui le récupère un peu
plus tard en voiture, et cherche celui qui l'a agressé.
À nouveau les proches sont incapables de clore l'incident, en rajoutent pour
inscrire les faits dans une « histoire » Réelle.
Deux groupes d'une dizaine de personnes s'affrontent alors. Kevin gifle
Mohamed et le contraint à présenter ses excuses à son petit frère.
« gifle » : le geste est une violence symbolique, moins
« réelle » qu'un coup, et la « contrainte à présenter ses excuses » est traditionnellement, dans un groupe habitué aux usages symboliques, considéré comme la « fin de
l'Histoire » (cf. les duels « au premier sang » remplacés par des excuses publiques) . Si le groupe méconnaît ces usages, cela rebondit comme une agression
« Réelle »
Ce qu'il a vraisemblablement vécu comme une humiliation publique. Cette
série d'altercations prendra fin avec les tragiques faits que l'on connaît, dans le parc Maurice-Thorez, vers 21 heures. »
« tragiques faits » : la mort, ultra violente, est la seule fin
« Réelle » de l'Histoire, dans un éclaboussement pulsionnel : l'Imaginaire « devient » le Réel, pendant quelques minutes.
À aucun moment les comportements n'ont été qualifiés de « sketch », de
« cinéma » par les adultes, au contraire !
À aucun moment, les participants n'ont pu penser leur comportement comme
« joué », « théâtralisé », et donc se dire « stop » et prendre une nécessaire distance.
Sans doute ne leur a-t-on pas appris !
Dans ces situations, il importe -et cela commence quand un enfant fait un caprice
devant les caisses d'un hypermarché- de DIRE qu'il s'agit d'un sketch, et que l'enfant DOIT et PEUT l'arrêter. Évidemment, l'adulte est fondé à dire... s'il n'abuse pas lui-même de ce genre de
sketchs : énervement colérique devant un match de foot, devant un discours politique, devant un jeu télévisé, devant son/sa conjoint/e perçu par l'enfant comme une réaction
« Réelle », « pour de Vrai ».
Peut-être nous faut-il en permanence « sous-titrer » nos agissements et
ceux des enfants et des adolescents : le « métalangage » permet la distance entre ce qui est JOUÉ et ce qui est AUTHENTIQUEMENT RESSENTI. Cela peut s'appeler culture, littérature,
art...
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