ÉLÈVES « DYS « (dyslexiques, dyspaxiques, dysphasiques, …)
La prise en charge des enfants souffrant de ces troubles, assurée très correctement par l'Éducation Nationale (détection, prise en charge, thérapie et accompagnement) produit des effets remarquables (re-narcissisation, facilitation des apprentissages, étayage de stratégies originales, etc...) jusqu'à la classe de 5ème, mais se heurte, en 4ème, à des difficultés inhérentes aux problématiques générales de cet âge.
Veuillez trouver ici quelques observations quant aux difficultés rencontrées par les élèves « DYS » en 4ème, parfois par leurs parents, et que l'Institution peut sans doute pallier.
Les points de la réflexion sont numérotés pour en permettre une critique claire.
1/ L'usage actuel, en ce qui concerne les évolutions, est de « lisser » les seuils, de penser les passages de manière linéaire ; cette pratique (et les axiomes qui la fondent) répondait au souhait d'éviter les traumatismes et les sidérations dus, jadis, à des seuils trop marqués, trop anxiogènes, trop « RÉELS ».
2/ L'Ethnologie et l'Anthropologie, sans compter la Clinique, nous montrent que l'apprentissage de l'autonomie est le fruit d'une maturation dont les étapes sont claires, explicites et cristallisées sur des «épreuves » symboliques sacralisées, qui définissent un Présent bientôt révolu en Passé et... le stade à venir. L'angoisse du passage, étayée par « les Anciens », n'est jamais dissociée de la certitude que l'individu passera les étapes, dans une initiation SYMBOLIQUE, et apprivoisera son nouveau personnage.
3/ Depuis quelques années, le souci de supprimer l'angoisse amène les Institutions éducatives et scolaires à protéger les enfants censés franchir les étapes « en douceur » (propreté, passage de la crèche à l'école maternelle, puis au CP, puis en 6ème, etc...). Cet accompagnement, sans doute nécessaire en partie, vire parfois en « surprotection ». Elle est telle qu'ils ne SAVENT pas, une fois confrontés au RÉEL (ce qui advient très tard et souvent brutalement...), surmonter leur frustration, élaborer des stratégies de TRAVAIL et... faire le deuil en cas d'échec. Une des conséquences dans le monde adulte est le nombre croissant de personnes qui sont en demande de thérapie pour... chagrin d'amour, incapables qu'ils sont d'affronter leur peine et de la dépasser.
4/ Cette problématique générale (et, sans doute, sociétale) prend un relief particulier dans le cas des enfants « DYS » :
-
angoissés, les parents (les mères...) sont amenés à prendre en charge l'emploi du temps des enfants, la quasi entièreté de leur triple rapport de Soi à Soi, Soi aux Autres , Soi au Monde.
-
L'univers psychique de l'enfant risque d'être sous le contrôle total des parents et... des adultes chargés de la formation et du soin (enseignants & professionnels de santé, parfois nombreux) ; en ce sens, il peut y avoir « pathologie du lien », en écho à des « troubles de l'attachement »
-
ce contrôle est PARADOXAL : il est à la fois
-
étayage nécessaire, protecteur et structurant
-
intrusif , voire impérialiste.
-
-
nous avions déjà remarqué que ces enfants avaient du mal à dire « Je » et à constituer un univers autonome (les devoirs, les copies -même celles fondées sur l'Imaginaire- étant revues par les parents), et à DÉCIDER sans consignes explicites (« Que dois-je écrire ? Que dois-je penser?)
-
enfants, ils ont trouvé gratification à se mouler dans les demandes adultes, d'autant plus que l'aide est patente
-
adolescents, en 4ème donc, ils rencontrent avec plus d'acuité encore que les autres la difficulté de prendre quelque autonomie (de pensée, d'Imaginaire, de fantasme, voire de transgression)
-
rapidement, ils se trouvent pris dans un CONFLIT DE LOYAUTÉ :
-
ou ils restent dans la théâtralité de 5ème, « couvés/aidés/étayés », fidèles à la cohorte d'adultes qui les prennent en charge depuis longtemps, avec le risque de s'ancrer dans un « état agentique »
-
ou... ils font rupture
-
-
la réaction parentale est, logiquement, très angoissée : l'ex enfant échappe au contrôle, ce qui est déjà difficile à tout parent, plus angoissant pour un parent de « DYS », qui redoute un échec sans les « béquilles » éducatives et se trouve dépossédé de sa « mission » d'étayage constant
5/ Il semble donc opportun de permettre à l'étayage de s'effacer peu à peu, et d'apprendre à ces élèves à affronter l'échec, l'angoisse, le stress, la peine. La difficulté est qu'ils ont développé, pendant des années, une théâtralité très élaborée pour demander de l'aide, pour solliciter l'adulte.
Bref, il faut parfois les FRUSTRER...
Ce mémo n'est évidemment pas un appel à la rupture totale, ni à un retour à l'éducation anglaise du XIXème siècle (!) mais à une vigilance accrue. Les soignants « du corps » (kinésithérapeute, infirmières...) ont plus nettement et plus rapidement l'exigence de supprimer les BÉQUILLES (encore une fois, naguère nécessaires) que les personnels chargés de l'esprit, du psychisme ou... de l'âme.
Je suis à votre disposition pour des explications plus complètes, et/ou une bibliographie des publications de référence...
Jean-Pierre Bénat