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3 janvier 2021 7 03 /01 /janvier /2021 11:45
La complainte de la chrysalide…

J.-P. BÉNAT, psychanalyste, psychologue clinicien


 


 

1) Nous sommes, comme tous les animaux, des « êtres opportunistes », caméléons habiles à prendre la « posture » qui, au moment « t », permet à la fois d’assurer la conservation du Moi (sinon il risque de s’effondrer, insubstantiel et sans contours!) et d’avoir des gratifications narcissiques (un peu miteuses, mais faute de grives…)

 

 

2) Même le « Drama », la mise en scène des crises (fonctionnement rôdé dès la petite enfance, dans le théâtre familial, puis social!) et des souffrances, est un étayage gratifiant (d’où le poids massif des « quérulences » dans les relations sociales!)

 

 

3) l’écueil est de s’enkyster, comme dans une vieille pantoufle, dans ces postures: cette « homéostasie », très économique (on commence un sketch et… il se déroule quasi automatiquement, scénario dont le script est éculé), passe rapidement pour le « caractère » de la personne, alors que ce n’est qu’un mode « paresseux » d’être à Soi, à Autrui et au Monde!

 

 

4) Les personnes ne « changent », au sens où elles abandonnent leur script bien connu, que quand le rapport « gratification/inconvénient » n’est plus aussi net: c’est vrai pour le psychisme comme pour le statut du corps, la rééducation, le suivi d’un traitement, l’entrainement à un instrument, l’investissement dans une pratique, une relation etc.

 

 

5) Comme tous les psychanalystes, je suis prodigieusement agacé de la « lenteur » des patients à jeter leur vieille pantoufle (peur du nouveau, incertitude sur le taux de gratification future, flemme crasse, appréhension de l’Altérité qui risquerait de les « colorer/contaminer » trop en les faisant sortir de leur zone de confort, fidélité à une saga familiale et au Drama…) 

 

 

6) Je ne connais que deux moyens de « muer »:

 

a) perception que les désagréments l’emportent nettement sur les gratifications (—> même le Drama n’est plus étayant!)

 

b) perception que de nouvelles gratifications sont à portée de main (—>  tomber en amour, côtoyer des joyeux, des paradigmes gais, dont les étayages sont à l’évidence jubilatoires!)

 

 

7) La thérapie n’est que le moyen de « solder » les vieux étayages, de « perdurer sans carapace »1 le temps d’avoir constitué de nouveaux étayages, « charpente » plus qu’ « échafaudage » selon le beau mot de Gide: MAIS cela implique une décision2 de la personne et… le courage de travailler le neuf!

 

 

8) Il semble que souvent la personne soit, dans ses vieilles pantoufles, suffisamment bien pour qu’il n’ait nulle envie de changer! Le « taux d’excitation » du Drama, des scénario de fuite, des scènes et de leur récit (→ quérulence!3) « suffit » à vivre! On a beau tâcher d’expliquer que cette « excitation » (j’ai eu comme patientes des femmes battues qui ont mis bien longtemps pour comprendre qu’il est d’autres moyens d’avoir des émotions fortes! ) est vide, elle perdure : le Drama, le discours catastrophiste sont beaucoup moins riches qu’une nuit d’amour, une pluie d’amoureux égards , une morceau joué avec des pairs, une virée folledingue en moto avec des potes, une ballade dans les petits matins frais pour apporter des croissants à sa Dame, un Monopoly avec ses gamins… mais l’aspect « spectaculaire »  est aisé, immédiat, paresseux, dont opportuniste! 4 

 

 

10) La « sagesse » (au sens marin du cap le mieux négocié dans un vent contraire) et d’être soi même un « paradigme » joyeux, avec un seuil de tolérance faible (—> refuser les situations ternes dès qu’elles se profilent, au lieu de s’y vautrer) et une appétence pour les petites & grandes joies! Cela implique de se constituer des petits rituels contra phobiques qui permettent d’esquiver les tristesses du jour: faute de ces « grigris psychiques » , on retombe dans l’excitation du Drama…

 

 

 

 

1   Françoise Dolto évoque le « complexe du homard », un temps vulnérable, sans son ancienne carapace et avant d’avoir constitué la nouvelle, plus à sa nouvelle taille...

2.  Sinon, il reste la possibilité d’un internement d’office (H.P.) : je m‘y suis quelquefois résolu, malgré mes réticences : le corps social prend alors en charge un des siens, malgré son refus...

3.  Il s’agit de plaintes « théâtralisées », pétries de Pathos, et à visée « spéculaire »(→ « je narre pour que l’émoi d’autrui conforte à rebours mon excitation »...) : on trouve des auditeurs empathiques (mais… non analytiques!), voire on démultiplie par les réseaux sociaux, infinis miroirs - « Miroir, mon beau miroir, dis moi... »!

4.  Un cynique dirait « on a les excitations qu’on mérite », mais… au fond, tout au fond, il y a de la Douleur, et à terme ces personnes « font payer » à Autrui leur propre insatisfaction (→ les enfants ! → les « Autres », qui savent jouir…) : chronique d’un désastre annoncé !

COMPLAINTE DE LA CHRYSALIDE / 03-01-2021
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Published by taneb