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13 novembre 2015 5 13 /11 /novembre /2015 06:43

* au sens de la "levée d'écrou"...

 

Dans les mécanismes de défense du Moi, la (re)production de discours occupe une place essentielle, analogue aux Mythes collectifs -une contribution est en préparation sur "l'analyse des hérésies religieuses comme étayages alternatifs"...- ; corollairement, le silence, entendu comme scotomisation du dérangeant, est à comprendre comme la "présence en creux" d'un informulé qui passe pour impensable.

Parfois, la nécessaire souplesse (discours "au second degré", épique) s'enkyste, nous oublions de "DÉNIAISER" les récits parentaux et historiques archaïques: le risque est de s'attacher à ces leurres en éliminant du Réel tout ce qui contredit le Mythe: cela s'appelle INTÉGRISME...

 

Le présent texte résume la contribution au débat.

Les critiques et apports sont les bienvenus!

 

 

 

SCOTOMISATION : « QUE DIT CE SILENCE ? »

Racine, Bérénice, II,5, v.627

 

 

 

La notion même de « traumatisme » dit le clivage entre la blessure, qui modifie une homéostase antérieure dans un bouleversant discontinu, ET la cicatrice, signifiant visible. Cette « brèche/suture » n'est cependant pas le retour du même, « comme avant », mais le poinçon et le garant (lat. « auctor ») d'une nouvelle économie psychique, organisée dans un discours unifiant contraphobique , discours « de Vérité acceptable » dont l'élaboration rappelle furieusement celle des Mythes.

 

 

1/ Troubles de l'attachement et déshérence du discours

 

Le bébé (Bion1) est saturé de stimulus chaotiques dont, faute de langage, il ne peut assimiler ni apprivoiser le sens... sauf si la Mère « parle » les événements avec amour, leur donnant cohérence et autorisant ainsi une « mise à distance » de l'Affect, rassurante et pérenne. Ce discours modélise un schème contraphobique, un « Moi-Peau » (Anzieu2) qui, repérable et réitératif, peut dès lors assurer un « contenu-contenant » efficace pour les blessures à venir.

Nous reprendrons ici la terminologie de Bion, qui nomme « élément Bêta » les stimulus et blessures inorganisés que ressent l'enfant dans une perception anarchique, « éléments Alpha » ces mêmes éléments organisés dans le psychisme de la Mère et métabolisés par un discours ordonné apaisant.

Les Charybde et Scylla de ce processus sont repérables dans la Clinique3:

  • le discours maternel est insuffisant, quantitativement ou qualitativement, pour donner sens, ordre et espoir à l'enfant : soumis au déferlement de sensations in-sensées, le bébé va rétrécir son univers, sidéré par ce qu' il entend comme un agressif morcellement du Monde. Faute de mots, faute d'un lexique riche, il « discerne » très sommairement le Réel, réduit à des focalisations simplistes.

  • Le discours est hyper enveloppant, au point que les éléments Bêta sont recouverts, « scotomisés » (sko/toj, la ténèbre4), le discours tenant lieu, non seulement de Vérité, mais de Réel.

 

 

 

2/ Mythe, Muthos, Logos

 

Pour éviter du flou sémantique quant au Mythe, j'en adopte la définition suivante, inspirée de Mircea Éliade, Lévi-Strauss et Dumézil : « scénario répétitif, sacralisé par des rituels, qui transmet des savoirs et des savoir-faire et répond aux angoisses de l'Homme »5.

L'élaboration du Mythe -c'est pourquoi des historiens s'échinent à chercher « de l'Histoire vraie » dans le Déluge, Oedipe ou Quetzalcoatl...- tresse discours-écran protecteur, métaphorique ET discours porteur d'informations univoques. En voici rapidement les caractéristiques antagonistes:

  • discours-écran/écrin : il s'agit de ne pas trop désancrer le Mythe du Réel : le discours « Alpha » n'est pas un « conte à dormir debout » ni même un divertissement, mais une organisation métaphorique - mu=qoj-ko/smoj - : toutes les topiques du discours sont à prendre « au second degré » ; allégories, métonymies, synecdoques, zeugmas, litotes, hyperboles, ces figures suggèrent sans dire, l'enfant puis l'adulte en saisiront LE sens que leur psychisme peut, au moment « T », absorber. En ce sens, une « annonce faite à un enfant » doit rester dans le champ symbolique, assez riche pour être plus tard décryptée plus avant mais assez énigmatique pour préserver l'auditeur. « Comprenne qui voudra 6», ou plutôt qui pourra, à l'aune de sa capacité d'absorption. C'est l'Inconscient qui, superbe machine de protection apte à tamiser les agressions trop létales, filtre les émergences « supportables » et renvoie l'intolérable aux Symboles encore cryptés ou au lourd silence de la scotomisation.

  • discours-recette : proféré ou écrit en langage univoque – lo/goj -, il participe pour l'essentiel des fonctions « poétique » , « conative » et « métalinguistique »7 : la « Vérité psychique » (acceptable et roborative !) se rapproche du Réel... et chacun peut faire un radeau aussi efficient que celui d'Ulysse.

En séance, l' « attention flottante » permet de préserver, de respecter ce délicat contrepoint : un sens qui se dit et un sens qui se cache, présupposition, « présence en creux », effet de répétition inconsciente, scansion étrange de la phrase, cadence -au sens harmonique- boiteuse- ou ...trop parfaite, trop rhétorique. L'analysant qui ajoute systématiquement à une description un rapide « quand même » (« On a passé un bon dimanche en famille, quand même ») dit, subtilement, sans même le savoir, une épée de Damoclès invisible qui menace son monde. La lecture assidue d'Héraclite8, de Mallarmé, de... Lacan sont des salutaires « exercices de la vertu analysante »9

Qu'en est-il quand le langage fait silence ?

 

 

 

3/ L'occultation : l'éloquente éclipse

 

Que d'aventure (!) une faille archaïque du psychisme n'ait pu être apaisée-suturée par l'onguent mythologique de la parole maternelle aimante, et chaque écho heuristiquement perçu comme analogue fera ré-émerger la perception douloureusement chaotique des premiers âges : un temps, le psychisme va adopter et adapter un Autre discours unifiant, amoureux, mystique, militant, intégriste, tâchant de « faire coller » un contenant pas vraiment adapté à un contenu menacé de déréliction. Puis, faute d'une perlaboration complète -et sans doute d'une estime de Soi et d'un narcissisme orphelins- , les systèmes de Défense du Moi vont agir, essentiellement le déni, la dénégation et la scotomisation.

Les études du stress post traumatique10 et les mises en place institutionnelles -cellules de crise, abréactions...- pointent les mécanismes de « modification du témoignage » par la mise en mots, i-e la mise en Mythe, mais aussi l'amnésie qui marque le récit. Cliniquement, me semble-t-il, le « matériel » le plus fécond, le plus sémaphorique, est davantage ce qui est celé (scellé?) que ce qui est dit. Ainsi, les « secrets de famille »11 et les traumas historiques se signalent (!) par d'étranges travestissements, mais aussi des omissions spectaculaires .

Plus trivialement, je renvoie le lecteur au test (cohorte de presque 10 000 personnes, de sociologie hétérogène) proposé par mes soins et quelques collègues12 : Un sonnet de Baudelaire -À une passante- est lu d'une voix monocorde (par une personne ou... par un ordinateur) ; à la fin de l'écoute, on demande aux auditeurs de noter, en 5mn, les mots dont ils se souviennent. Les habitués des Lettres et de l'analyse sourient, sûrs de mémoriser aisément, entraînés qu'ils sont à décrypter-engrammer les discours. Erreur : au relevé des réminiscences -et donc des amnésies !-, des mots sont « oubliés » par la quasi-totalité des auditeurs : « douleur », « douceur », « plaisir », « fascine », « germe », « renaître » etc... Je sens qu'à la simple lecture de ce papier vous avez déjà analysé, donc je ne gloserai point.

Extrapolons : l'Inconscient est capable, heureusement pour notre psychisme, d'occulter ce qui pourrait éventuellement réactiver des failles archaïques ; cette salutaire inhibition - « miséricordieuse », diraient quelques religieux- évite l'effondrement du psychisme, dès lors que le discours Alfa apparaît davantage comme un bricolage rapiécé qu'une enveloppe chaude et protectrice, laissant émerger ça et là les épouvantables éléments Bêta, terrifiantes aspérités.

Est-ce pour autant une nécessité pérenne  (a)na/gkh, Fatum) ?

 

 

 

 

4/ A-lêtheia (a)lh/qeia, a)-lanqa/nw, « non caché »), ou la levée (le lever?) des voiles

 

Quasi mécaniquement, deux pistes se présentent pour qu'émerge ce qui avait été soigneusement (cal)feutré au point d'en être supprimé :

  • une suturation mieux élaborée et... plus efficiente des failles narcissiques archaïques : il s'agit de revisiter le Passé, de le reconsidérer : déconstruction du  discours Alpha maladroit voire inepte, davantage destiné à colmater le psychisme parental qu'à étayer l'enfant, perception déniaisante et déniaisée des éléments Bêta (débarrassé des scories du discours parental « pédagogique & vertueux »13), ré-évaluation des affects14, nouvelle hiérarchisation des schémas narratifs et actanciels

  • élaboration autonome ou, plus justement, avec l'Autre -individu aimé/aimant, groupe-, dans une Altérité incognita mais plaisante, d'un nouveau discours Alpha, avec suffisamment de liens au Réel pour le couvrir ET suffisamment d'interstices pour pouvoir Muer et explorer la « Virtus », sans peurs autres que l'appréhension du Réel.

     

C'est ce que nous nommons « advenir ». Antiochus (Bérénice, I,2), doute de qui il est (« Es-tu toujours le même ? »), Don Giovanni demande à Leporello de lui rappeler  son Histoire , et jusqu'à ses « mille et tre » conquêtes : à ces héros nul n'a dit – et la statue du Commandeur est un bien tragique discours Alpha - la phrase énergiquement conative de Pindare15, reprise par Nietzsche : « Deviens qui tu es 16»...

 

 

 

1 Wilfred Ruprecht Bion, Aux sources de l'expérience, Paris, PUF, 2007

2 Didier Anzieu, Le Moi-Peau, Paris, Dunod, 1985

4 Genèse, I,1,2 « kai\ sko/toj e)pa/nw th=j a)bu/ssou »

5 Jean-Pierre Bénat, Cours de Communication, CNAM-ENSAM, www.taneb.org

6 Paul Éluard, Au rendez vous allemand, Paris, Éditions de Minuit, 1944

7 Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, Paris, Éditions de Minuit, 1969

8 Héraclite, Fragments 93, «  9O a)/nac ou)= to\ mantei=o/n e)sti to\ e)n Delfoi=j, ou(/te le/gei ou)/te kru/ptei a)lla shmai/nei » Le prince dont l'oracle est à Delphes ni ne dit ni ne cache, mais fait signe.

9 Alonso Rodriguez, Les exercices de la vertu et de la perfection chrétienne, 1674 ou... Le petit livre d'Anna Magdalena Bach...

10 Winnicott D.W. (1952, éd. 1992), Anxiety Associated with Insecurity, in Through Paediatrics to Psychoanalysis : Collected Papers, Karnac Books, coll. Karnac Classics Series., etc...

11 Ferenczi S., Œuvres complètes tome II, : 1913-1919, Paris, Payot, 1970,

Ainsworth M. D., Infancy in Uganda: Infant Care and the Growth of Attachment, Baltimore md, The John Hopkins Press, 1967. etc...

12 Jean-Pierre Bénat, op. Cit.

13 Jean-Pierre Bénat, http://www.taneb.org/article-bis-repetita-117648481.html : même Platon s'y englue...

14 « Ah, ce n'était que cela », disent parfois les analysants après avoir tant peiné à détresser tant de peines...

15 Pindare, Pythique II, vers 72 : « Deviens qui tu es, quand tu auras appris » , Γένοι’ οἷος ἐσσὶ μαθών.

16 Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, 1885. Phrase énigmatique, en « Muthos », donc joyeusement ambiguë... cf. , entre autres, l'étude de Jacques Darriulat ICI : http://www.jdarriulat.net/Auteurs/Nietzsche/Imperatifpresent/Imperatifpresent1.html

 

 

DISCOURS ÉCRIN, DISCOURS ÉCRAN, VIVE L'ÉCROU*! (11-2015)
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